« La réinsertion n’est pas un après-coup, c’est un processus global. »

Rencontre avec Benjamin, directeur de l’association Permis de Construire 72

Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Benjamin Haran, j’ai 27 ans, et je suis profondément attaché au Mans, où j’ai grandi et où je m’investis depuis plusieurs années dans le champ social et solidaire.
Avant de créer Permis de Construire 72, j’ai cofondé L’Esprit de Barbara, une association qui accueille tous les publics en situation d’isolement au sein d’un Café Solidaire en centre-ville. Elle est également à l’origine du premier restaurant de mixité sociale du Mans, L’Homme Tranquille.
Ces lieux inclusifs ont permis à des habitants, étudiants, retraités, personnes sans abri ou réfugiées de se rencontrer et d’échanger autour d’un repas à prix solidaire.
Ce projet a confirmé mon envie de construire des espaces populaires et émancipateurs, capables de redonner du sens collectif à nos existences trop souvent cloisonnées.
Aujourd’hui, avec PDC72, j’essaie de prolonger cette logique dans un autre champ : celui de la justice et de la réinsertion.

Qu’est-ce qui t’a motivé à créer cette association et rejoindre le réseau Permis de Construire ?
Je suis parti d’une conviction simple : tout individu mérite une deuxième chance, et souvent, une véritable première chance.
En Sarthe comme ailleurs, la majorité des personnes incarcérées sont jeunes, issues de parcours de précarité, d’abandon ou d’injustices sociales accumulées.
Ce sont des vies qu’on enferme avant même qu’elles aient eu l’occasion d’exister.
Le réseau Permis de Construire m’a parlé par son approche humaine, exigeante et réinventée de la réinsertion, fondée sur la confiance, la pair-aidance et la reconstruction personnelle.

Créer PDC72, c’est ancrer cette philosophie au Mans, au plus près de la Maison d'Arrêt des Croisettes, pour que la sortie de détention ne soit pas une chute libre mais un rebond.

Quels sont les grands objectifs que tu te fixes pour l’association ?

À court terme (2025-2026), il s’agit de poser les fondations locales :
- Accueillir et accompagner nos premiers “pilotes” (anciens détenus ou personnes suivies en milieu ouvert) ;
- Construire des passerelles concrètes avec les institutions et les structures d’insertion (SPIP, France Travail, Mission Locale, Montjoie, TARMAC etc.) ;
- Mener des actions de sensibilisation dans les quartiers prioritaires de la ville, dans les entreprises, les établissements scolaires et auprès du grand public.

Mais PDC72 porte aussi une vision plus large :
- Devenir une "école" inclusive des nouveaux métiers du numérique et de la culture, pour accompagner autrement les personnes éloignées de l’emploi ou de la formation.
- Développer à moyen terme un axe “prévention”, en amont de la délinquance et des premières incarcérations, par des ateliers, des débats et des espaces d’expression. 
- Créer à terme un lieu ressource au Mans, un espace ouvert entre justice, culture et citoyenneté, où l’on parle, où l’on apprend, où l’on se reconstruit.

Quelle est ta vision de l’association dans 5 ans ?
Je vois Permis de Construire 72 comme une structure locale incontournable en matière de réinsertion, reconnue, ancrée, ouverte, qui dialogue autant avec les institutions qu’avec les entreprises et le grand public.
Un acteur capable d’incarner un autre regard sur la prison, sur la faute, sur la transgression — non plus comme un stigmate, mais comme un point de départ pour se redéfinir et contribuer à la collectivité.
PDC72, dans cinq ans, ce sera une association connectée à un réseau solidaire et économique, un lieu de passage, d’apprentissage et d’engagement, pleinement intégrée à l'écosystème manceau.

Quelles sont les valeurs essentielles de ton association ?
Dignité : personne ne se résume à un casier judiciaire, on ne se réintègre pas dans le rejet.
Solidarité : la réinsertion est un travail d’équipe, jamais un parcours solitaire.
Confiance : croire en la capacité de chacun à évoluer, faire vivre le "droit à devenir meilleur", chère à Robert Badinter. 
Émancipation : redonner le pouvoir d’agir, réveler leur puissance aux individus.
Justice sociale : relier les destins individuels à des combats collectifs, pour une société plus juste, plus lucide et plus fraternelle.

Quels sont les défis auxquels tu t’attends ?
On change d'abord dans l'œil de celui qui regarde. 
Changer le regard que porte la société sur la prison, sur la transgression, sur les “illégalismes”, cette démarcation invisible qui sépare ceux qu’on enferme et ceux qu’on absout/pardonne.
Il faut rappeler que la réinsertion n’est pas un “après-coup”, c’est un processus global, qui commence avant la sortie et qui se joue sur tous les plans : psychologique, social, économique, culturel, citoyen.
Notre travail consiste à aider chacun à redéfinir un projet de vie choisi et désirable, car ce projet, cette lumière au bout du tunnel, c'est le parachute ventral à la récidive. 
Et bien sûr, il y a les défis matériels : convaincre, financer, durer, tout en gardant notre engagement de départ.

Quel message souhaites-tu adresser à ceux qui souhaiteraient te rejoindre ou te soutenir ?
Je leur dirais que PDC72 est une aventure collective, c'est faire l'expérience de penser contre soi-même, à rebours de certaines idées reçues. C’est un face-à-face avec l'être humain, ses aspérités, ses failles, et sa capacité à se relever pour devenir meilleur. Chacun peut y trouver sa place :
- Des bénévoles pour accompagner ou transmettre,
- Des entreprises et des formateurs pour donner une chance,
- Des partenaires associatifs pour construire ensemble de nouvelles façons de se réinsérer, 
- Des gens curieux, investis, qui relaient nos actions et font briller notre lanterne
Soutenir PDC72, c’est soutenir une autre idée de la justice : celle qui répare, qui relie, qui fait du temps judiciaire un temps utile.

Quelle est ta petite fierté personnelle à ce jour ?
Ma plus grande fierté, c’est la dynamique collective dans laquelle s'inscrit le projet.
Avoir réussi à fédérer autour de la table des personnalités très différentes mais profondément complémentaires.
Chacun apporte sa vision, son langage, son réseau, et c’est de cette diversité qu’est née la force du projet.

PDC72 n’est pas mon association, c’est un collectif au berceau, une énergie partagée qui, j’en suis sûr, fera bouger les lignes au Mans.